Dans les grands flops de l’histoire de la course au large, celui-ci est en passe d’atteindre les sommets de la communication qui l’accompagne. Le 60 pieds IMOCA DCNS n’est certes pas le premier à connaître une mise au point difficile, pour ne pas dire plus (démâtage et abandon dans la deuxième journée du Vendée Globe, Istanbul Europa Race à la traîne, début de Transat Jacques Vabre poussif avant un nouvel abandon, cette fois sur un problème de rotule et de vérin de quille). Mais cela se fait dans un contexte stratégique qui apparaît aujourd’hui bien cruel lorsqu’on lit la prose du site Internet de ce sponsor. La com’, c’est dangereux comme un boomerang…
L’opération s’intitule « Les filières du talent ». Le talent on le cherche encore… au moins ses résultats tangibles. Ce n’est pourtant pas faute de moyens ! Issu de l’ancienne Direction des constructions navales (DCN) qui oeuvrait dans les arsenaux de la Marine nationale (plus précisément de la Délégation générale pour l’armement), le groupe DCNS est né en avril 2007 sous un statut de droit privé (depuis 2003), avec l’État comme actionnaire à 74 % et Thales à 25 % (les salariés possédant 1 % des actions). La division des systèmes navals de cette dernière a fusionné avec DCN pour donner cette nouvelle entité qui construit des navires de guerre, des sous-marins, et des équipements et systèmes de pointe. L’ensemble compte 12 000 employés et réalise un chiffre d’affaires annuel de 2,5 milliards d’euros.
Lancé en mai 2008, DCNS est un plan Finot/Conq construit en sandwich carbone/Nomex chez Multiplast (coque) et au Chantier naval de Larros (pont) (© Jean-Marie Liot/DPPI/DCNS).
En sollicitant Marc Thiercelin comme skipper et formateur de son jeune successeur, l’entreprise a fait appel à un marin dont le palmarès et l’expérience sont incontestables (pour ne parler que des tours du monde solo : 2ème du Vendée Globe 1996-1997, 2ème d’Around Alone en 1998-1999, 4ème du Vendée Globe 2000-2001). Mais il était de facto en préretraite de la course au large. Et il n’est pas évident que sa motivation soit encore à la hauteur de cette expertise ? Ni que celle-ci se soit maintenue au niveau auquel tendent désormais les meilleurs skippers, et ce dans tous les domaines ?
Autre problème, le projet a été lancé bien tard pour le Vendée Globe au départ duquel le bateau s’est présenté avec un déficit de près de 12 000 milles par rapport à ceux qui étaient les mieux préparés. Issu du même moule que Generali et Brit Air – lesquels ont montré une vitesse bien supérieure même si le premier avait subi une très grosse cure d’amaigrissement après sa première course – tandis que le pont est proche de celui d’Hugo Boss avec deux roufs, deux descentes et toutes les manoeuvres revenant dans l’axe (comme les vagues !), le plan Finot/Conq a sans aucun doute été très bien construit par Multiplast (coque et intégration) et le Chantier naval de Larros (pont). On le dit très léger.
À 49 ans, Marc Thiercelin est l’un des skippers qui comptabilisent le plus de milles en solitaire autour du monde (© DCNS).
Cependant, la conception et la réalisation du voile de quille ont fait beaucoup de bruit dans les communiqués de presse du début. Il a en effet été usiné par l’atelier DCNS d’Indret dans des aciers spéciaux à haute limite d’élasticité utilisés pour la construction des sous-marins nucléaires, avec un four à soudure par faisceau d’électrons. L’ensemble du procédé permet théoriquement d’obtenir un voile de quille en acier au même poids que s’il était en carbone. En pratique, alors qu’il était censé être équipé au départ du Vendée Globe de capteurs enregistrant les contraintes subies (cent fois par seconde sur une clé USB étanche de 32 Go), ces données devant être transmises gracieusement par DCNS à la communauté des architectes, l’appendice a surtout défrayé la chronique du petit monde de l’IMOCA…
Pour mémoire – et sans vouloir en rajouter, histoire de ne pas voir un contrat DCNS/DGSE/DCRI sur la tête de ce blog JJJ – rappelons que la filière de sélection elle-même avait fort mal débuté. Christopher Pratt était un revenant puisqu’il avait été repêché après les oraux, suite à la défection pour raisons personnelles de Philippe Legros. Il s’était ensuite brillamment imposé sur l’eau en remportant, début avril 2008, la Solo Arrimer aux Sables d’Olonne, devant vingt-quatre Figaristes. Espoir Crédit-Agricole en 2005, Pratt le Méditerranéen (alors âgé de 27 ans) – qui affichait déjà un joli palmarès – avait ainsi logiquement gagné son ticket en finale des Filières du talent DCNS.
À 28 ans, Christopher Pratt va bientôt prendre la barre de DCNS en solo afin de préparer la Route du Rhum 2010 (© DCNS).
L’autre finaliste était le Finistérien Romain Attanasio (30 ans à l’époque), notamment vainqueur de la Cap Istanbul en 2006. C’est là que le bât blessait. La sélection de ce dernier fut contestée par Nicolas Lunven (25 ans en 2008) – alors premier bizuth du championnat de France de course au large en solitaire 2007 et depuis vainqueur de la Solitaire du Figaro – qui avait battu Attanasio à cinq reprises lors des sept régates courues entre les quatre demi-finalistes (le quatrième étant Frédéric Rivet). Nicolas nous déclarait alors dans Voiles & voiliers : « Je trouve étrange d’organiser une sélection sur l’eau avec autant de moyens pour finalement ne pas respecter la loi du sport. Il est également curieux de m’écarter pour ma jeunesse et mon manque d’expérience du 60 pieds IMOCA alors que DCNS ne cesse justement de vanter… la promotion des jeunes et sa volonté de les former ! » Effectivement, le règlement réservait au jury le droit de sélectionner sur un ensemble de critères mais « au premier rang desquels les résultats des sept courses des demi-finales »… Lunven ne devait sans doute pas cadrer avec la stratégie des communicants en charge du dossier. Il s’est bien rattrapé depuis !
Au final, même si cette communication des « Filières… » est avant tout à usage interne, elle est évidemment à double tranchant. On voit mal comment les jeunes ouvriers en apprentissage chez DCNS pourraient s’inspirer d’un bateau qui ne termine pas ses courses ou alors en queue de peloton, très loin derrière… les talents, justement. La pression est désormais sur les épaules du seul Christopher Pratt qui mènera le bateau à la Route du Rhum 2010. Quelles que soient les galères, nul doute qu’il aura bénéficié d’une excellente formation sur ce qu’il faut faire. Ou ne pas faire.
O.C.